Pour une poignée d'images (éloge de Sergio Leone)

Publié le par O.facquet

    Il était une fois Sergio Leone

 

Il y a plus de vingt-cinq ans, sortait l'ultime chef-d'oeuvre du cinéaste Sergio Leone (mort en 1989). L'occasion de dire ici notre admiration pour l'ensemble de son travail.

Dans Il était une fois en Amérique (1984), le plus fordien de ses films, lorsque Noodles (magnifique Robert de Diro) revient après trente cinq d'absense dans le Lower Side East new yorkais (une des plus belles séquences de l'histoire du cinéma), il répond à un ami d'enfance (Fat Moe) qui le questionne sur son emploi du temps durant toutes ces années : "Je me suis couché de bonne heure". Clin d'oeil proustien. Avec ce film, il rompt avec les westerns aux damaturgies tout à la fois jubilatoires, ralenties, ricanantes, ô combien distanciées. Leone sonde pour la première toutes les contradictions des sentiments humains : l'enfance et la trahison, la passion et la perte, la force et la médiocrité, la désillusion.  

Tout a été dit, ou presque, sur le maniérieme léonien, lequel étire indéfiniment le champ d'action, sur un rythme musical, afin de créer un espace-temps répondant à une logique mental -Sergio Leone flirte continûment avec l'abstraction formelle ; malgré quoi, il porte un regard acéré sur le monde comme il va et sur la pratique de son art : son oeuvre ne doit rien au théâtre et à la littérature, elle puise plutôt son inspiration dans la peinture (De Chirico) et l'architecture.

En outre, on évoque souvent, à juste titre, la musique lancinante et emphatique d'Ennio Morricone, ritournelles élégiaques et angoissantes à la fois : la mise en scène léonienne tient en effet de la chorégraphie.

Tout le monde garde aussi en mémoire les silhouettes marmoréennes d'Il était une fois dans l'Ouest (1968), ces longs manteaux perdus dans un paysage sans limites (figures tautologiques éthérées). L'exhibitionnisme des entrées dans le champ et l'action (à l'image des grands airs de l'opéra vériste) épate encore les moins blasés d'entre nous. Ils sont légion.

Enfin, et surtout, on ne dire jamais assez que Le Bon, la Brute et le Truand (1966) est un des rares grands films sur la guerre de Sécession en particulier, et la guerre en général. Inoubliable scène du cimetière de Sad Hill : nul magot enfoui, mais des dizaines de cadavres enterrés. Ces récits légendaires, en forme de fables picaresques, tout particulièrement Il était une fois la Révolution (1971), avec l'inégalable James Coburn, toutes ces histoires de destinées humaines qui enfantent les mythes, sont désormais des objets d'étude.

Il ne s'agit toutefois que de la partie émergée de l'iceberg. Voici pourquoi le cinéma de Leone est profond. Sa persistence tient à d'autres aspects que la simple subversion digérée des codifications traditionnelles d'un genre : le western.

Leone et la trilogie du dollar sur le web - La Cinémathèque française

 

Chez Sergio Leone, le temps est un moyen d'exagérer la densité et l'intensité de l'espace, mais pas seulement.

Le clin d'oeil proustien de Noodles/de Niro n'est pas fortuit. Dans la série des Il était une fois, le temps est soudain suspendu, et la reprise de son cours surviendra quand la Faucheuse aura fait son sale boulot. En attendant, il bégaye : quelque chose (voire quelqu'un) gêne son bon déroulement. Les personnages piétinent, puis se figent, ressassent enfin sans cesse. Ils sont portés par un désir de mémoire, une obligation de repasser par les empreintes du passé. La musique et la mise en scène sont alors au diapason de cette mémoire. En vérité, seule la mort d'un des protagonistes vient les libérer d'une obsédante inertie. La plupart des films de Leone possède une structure dont l'ossature est un souvenir secret récurrent -voir le procédé du flash-back fragmenté-, qui s'explique à la fin : le duel monumental, par exemple, porté par la musique de Morricone, point d'incandescence d'Il était une fois dans l'Ouest, avec, face à face : Harmonica/Charles Bronson (idoine) versus Franck/Henry Fonda (dans un heureux contre-emploi).

Claudia Cardinale et Sergio Leone - Photo et Tableau - Editions Limitées -  Achat / Vente

Le cinéma de Sergio Leone est un regard fasciné d'Européen alphabétisé sur la mythologie américaine, ouvert aux prétendues inepties de la culture de masse venue des Etats-Unis d'Amérique. L'une des prouesses du cinéaste italien vient de sa capacité exceptionnelle à créer des formes, par la matière même des images et du son, tout en restant un formidable conteur populaire.

Un cinéma comme on en fait plus, un cinéma qui savait prendre son temps. Il nous manque, donc. Même si, chez Leone, les femmes doivent prendre des bains chauds (éternelle Claudia Cardinale, elle illumine à jamais Il était une fois dans l'Ouest) pour se laver des saillies brutales de tireurs nomades, partis crever seuls souvent comme des chiens.

D'où cette simple manifestation de reconnaissance qui, elle aussi, revient de loin.

 of 

30 ans de la mort de Sergio Leone : connaissez-vous son film inachevé ? -  Actus Ciné - AlloCiné

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Publié dans pickachu

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article