Brèves rencontres : Hors Saison (2024) de Stéphane Brizé.

Publié le par O.facquet

Deux films un brin mélancoliques : "Hors-Saison" et "Laissez-moi" | RCF

"A défaut du pardon, laisse venir l'oubli"

Alfred de Musset

 

L'éventail des histoires à raconter n'est pas si large que cela, et Hors Saison (2024), le dernier film de Stéphane Brizé, qui s'éloigne ici du cinéma social, s'inscrit dans la veine des films d'amour qui marient avec bonheur, nostalgie et mélancolie.

Il était évident qu'une certaine critique en viendrait à l'égratigner. Il était à parier qu'on lui reprocherait entre autres le fantasme d'une classe moyenne provinciale vertueuse et qu'au passage le nom de Claude Sautet serait à un moment ou un autre évoqué (Claude Lelouche aurait pu tout aussi bien faire l'affaire). Et de souligner avec malice que la musique est de Vincent Delerm.

 

FRED's Interview: Stéphan Brizé, Guillaume Canet, Alba Rohrwacher - HORS  SAISON #venezia80 - YouTube

 

C'est gagné ! Une revue prestigieuse a donné rapidement le ton en fustigeant l'anti-lyrisme paresseux du film. Du balisé. Le fantôme du réalisateur de César et Rosalie (1972) hante paraît-il l'ouvrage (où est le problème ?), où l'authenticité supposée de la classe moyenne contraste soi-disant avec l'artificialité du petit monde artistique parisien. Voyons voir.

 

Hors-Saison - fr | Gaumont, depuis que le cinéma existe

 

Hors Saison s'empare d'un cas singulier pour dresser le constat d'échec universel d'un commerce amoureux malheureux. Rien de totalement nouveau assurément. Faut-il pour autant fuir le défi d'en dire quand même quelque chose ? Non, bien entendu. Stéphane Brizé s'y prend-il mal ? Un sentimentalisme tenace vient-il faire écran à une impossible objectivité critique face à la douloureuse nécessité des adieux ? Une bleuette, comme une chanson populaire, peut dire beaucoup et faire chavirer le plus endurci d'entre nous. Quand un minimum de talent (mise en scène, direction d'acteurs, art du montage), un savoir faire honnête (se garder des clichés et autres facilités narratives), quelques prises de risques scénaristiques, sont au rendez-vous, accepter alors de baisser la garde, se laisser envahir par l'émotion, et peut-être même par le souvenir, puisque la mer efface sur le sable les pas des amants désunis, pas tout à fait quelquefois.

 

Hors saison", de Stéphane Brizé : en thalasso avec Guillaume Canet,  rattrapé par un amour du passé

 

La quarantaine et père de famille, Mathieu (Guillaume Cané) vit à Paris. C'est un des acteurs de cinéma les plus appréciés de sa génération. Il vient passer une semaine en Bretagne dans un centre de thalassothérapie pour soigner un burn-out, suite à une déconvenue professionnelle -jouer au théâtre pour la première fois le tétanise. Il est marié à une présentatrice de télévision (la voix de Marie Drucker) qui a pignon sur rue et un caractère bien trempé ; elle sait ce qu'elle veut.

 

La drôle de vieillesse de Canet, magnifique dans Hors-Saison

 

Il retrouve par hasard Alice (Alba Rohrwacher), d'origine italienne, un peu plus jeune que lui, professeure de piano, installée avec son mari dans la station balnéaire, loin du pays des merveilles l'hiver, monsieur est un médecin de gauche rassurant quelque peu falot ; ça offre un cadre qui suscite de l'ennuie ; elle se fane, s'étiole. Madame rêve ad libitum. Ils ont une fille de 15 ans.

Mathieu et Alice se sont jadis aimé, énormément. Il est séduisant ; elle est charmante. Il l'a sans délicatesse quittée. Elle a beaucoup souffert. Puis s'est reconstruite dans les bras d'un docteur accueillant, ça aide.

 

Hors-saison : nouveau film de Stéphane Brizé avec Guillaume Canet et Alba  Rohrwacher - Sortiraparis.com

 

Stéphane Brizé filme avec tact et élégance leurs retrouvailles, et il en faut. Chaque mot compte, tout geste importe, il ne faut rien brusquer, laisser faire les choses, apprivoiser l'ennui, autant de silences éloquents, accepter les maladresses inévitables, accompagner les hésitations, les confidences, les mises au point, avec patience et délicatesse, attendre le retour tremblant des automatismes de naguère, passer du général au particulier, et inversement, surprendre l'émotion fugace qui les étreint, la capter soudain, sans saccade, tout est si fragile, qui sait en effet si ce moment ne comptera pas davantage lors du bilan, avant le grand voyage, que bien des épisodes passés ou à venir supposément essentiels de leur vie. Il faut également que les corps exultent, même furtivement, pour le coup dans une chambre d'hôtel pourtant sinistre. Des corps faits semble-t-il pour s'accorder. Ils se sont trouvés. L'un contre l'autre, tout contre. Ce ne sera peut-être pas toutefois suffisant. D'autres paramètres entravent souvent les rencontres les plus bouleversantes. La liberté fait peur. L'incertitude angoisse. Surtout il y a le regard des autres. Ils sont tellement nombreux. On pense bien sûr au déchirant Brief Encounter de David Lean en 1945, le réalisateur du Docteur Jivago et de Lawrence d'Arabie.

 

Culture - Loisirs - CINEMA. Rencontre avec le réalisateur Stéphane Brizé  pour Hors saison et un point les autres films à l'affiche cette semaine

 

Et les éternelles questions surviennent, lesquelles ont taraudé ou tarauderont tout un chacun. Pourquoi l'a-t-il autrefois quittée ? Vont-ils remettre le couvert, tout reprendre à zéro, bouleverser leur vie bien réglée pour recommencer ce qui n'aurait jamais dû sans doute cesser d'exister, puisqu'ils paraissent si bien ensemble ? Oublier le temps des malentendus, tout peut s'oublier ? Et s'ils passaient en définitive et bêtement à côté de leur vie ? Ne sommes-nous pas face à deux solitudes insondables qui se sont retrouvées pour ne plus cette fois-ci se séparer ? Vont-ils cicatriser de vieilles et vilaines blessures à l'âme ? Ne l'a-t-elle pas plus aimé qu'il ne l'a aimée ? Lequel des deux semblent près à s'affranchir de ses chaînes afin de prendre le large ?

 

Avec "Hors Saison", Stéphane Brizé de "La loi du marché", délaisse le film  social pour la comédie dramatique - Nice-Matin

 

Autant de questions auxquelles le cinéaste, sa scénariste et dialoguiste (Marie Drucker) n'apporteront pas de réponses, ou très peu, ainsi vont parfois nos existences, pour le meilleur ou pour le pire, un peu des deux généralement, et la force du film tient dans cette équilibre précaire, n'en déplaise aux esprits chagrins.

 

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Il y a aussi une invitation imprévue, ce mariage solaire de deux femmes enfin heureuses, ce groupe en fusion dans lequel les deux amants (aimants) sont une soirée durant comme en apesanteur, avant d'ailleurs de partir s'envoyer en l'air en toute simplicité, comme une évidence. Un régime sensuel et sismique.

Comment ne pas évoquer ce café pris en commun dans un morne troquet, où avec gentillesse Mathieu demande au garçon de bien vouloir arrêter la musique d'ambiance, du jazz, un genre qu'il n'apprécie guère, à ce moment précis, le regard de Chimène que lui porte Alice vaut toutes les déclarations les plus enflammées. Elle en était amoureuse, très amoureuse, elle l'aime toujours, différemment, elle l'aimera demain, quoi qu'il arrive, à sa façon. Il le sait ; il le sent. Il cabotine un peu pour tester son pouvoir de séduction. Faire rejaillir le feu d'un volcan qu'on croyait trop vieux. C'est ainsi. C'était écrit. Ils voient deux fois leur cœur s'embraser.

 

La drôle de vieillesse de Canet, magnifique dans Hors-Saison

 

Dans un restaurant lugubre, le serveur détaille la carte avec une rare méticulosité, Alice et Mathieu sont emportés par un fou rire irrépressible, que seule une complicité éprouvée peut provoquer. Nous n'oublierons pas.

 

Hors-saison (), un film de Stéphane Brizé | Premiere.fr | news, sortie,  critique, VO, VF, VOST, streaming légal

 

Certains ont raillé à tort les plages désertes face aux vagues grises, les brouillards salés, la mer et ses rouleaux continus (le ressac ou l'éternel retour), la langueur dominicale, un soleil en exil, reflets de l'état d'esprit des protagonistes. Des couleurs froides et glaçantes. Ce sont deux cœurs en hiver. Hors saison, de toutes les saisons. Le courrier déborde des boîtes aux lettres, le vent transperce les longues avenues où ils se traînent pour gagner du temps sur l'irrémédiable, la colère océane leur fait la leçon -des vagues à l'âme. Hors Saison ne fait pas l'éloge de la résignation. Seulement le constat triste d'un échec cruel. Vivre fatigue. Et l'on sait que le tragique de l'existence est d'être ordinaire.

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Lido Di Venezia, Italie. 08 septembre 2023. Guillaume Canet, Alba Rohrwacher  assistent à un photocall pour le film 'hors-saison (hors saison)' au 80e  Festival International du film de Venise le 08 septembre

Publié dans pickachu

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