Perds pas l'Nord (P'tit Quinquin de Bruno Dumont)

Publié le par O.facquet

 

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"Dors min p'tit Quinquin, min p'tit

 pouchin, min gros rojin, Tu m'fras

 du chagrin si tu ne dors point

ch'qu'à d'main"

 

Les aspirations des pauvres ne sont 

pas très loin de la réalité des riches"

                                         Coluche

 

La meilleure série jamais tournée en France, à l'exception, bien entendu, de La Maison des bois de Maurice Pialat, diffusée en 1971 par l'ORTF ? À coup sûr. Le meilleur film de l'année 2014 comme l'ont écrit Les Cahiers du Cinéma ? Certainement. Une raison d'y croire encore ? Sans doute aucun. P'tit Quinquin est une série qui a été diffusée sur Arte les 18 et 25 septembre derniers, réalisée et écrite par le cinéaste Bruno Dumont (L'Humanité, Flandres, Camille Claudel, 1915). Quatre épisode de cinquante minutes chacun : L'bêt'humaine, Au cœur du mal, L'diable in perchonne, ...Allah Akbar !. Attention chef-d'oeuvre (ça fait du bien de se lâcher).

L'originalité de l'oeuvre cinématographique de Bruno Dumont tranche avec l'hermétisme godardien ou le tout-venant cinématographique hexagonal aseptisé. P'tit Quinquin ne déroge pas à la règle. Le synopsis : sur le littoral boulonnais -Nord de la France et langueurs océanes-, le territoire de prédilection du réalisateur, P'tit Quinquin et ses amis, de jeunes adolescents, occupent leurs vacances comme ils peuvent : bagarres, réprimandes parentales, lancés de pétards, errances, le vélo tout-terrain à la main. De la plage à la ferme. De la ferme au blockhaus. Du blockhaus au bourg. Du bourg à la campagne environnante. Jusqu'à l'arrivée surréaliste d'un hélicoptère de la gendarmerie nationale, un venteux matin d'été, lequel survole la plage, puis sort une vache du blockhaus. Les enquêteurs font une découverte macabre : une femme démembrée est retrouvée dans le ventre du bovin. D'autres meurtres vont suivre, sans oublier un suicide.

 

 

 

Par quel bout prendre la série ? P'tit Quiquin est d'une drôlerie insoupçonnable, la cérémonie religieuse, avec le fou rire irrésistible des officiants face à la mine affligée de l'assistance, est à montrer dans son intégralité les soirs mortels de réveillon –voir P'tit Quinquin tenter de rester impassible vaut le détour. Les comédiens aux profils atypiques sont tous amateurs. Les tics et les tocs, la démarche chaloupée, le phrasé haché, les bégaiements du commandant van der Weyden (Bernard Pruvost, 57 ans, ouvrier aux ateliers du Channel à Calais) au visage déformé par les grimaces, déconcertent de prime abord, puis finissent par s'imposer. Sacré tour de force. Son interprétation va marquer. Il est flanqué du lieutenant Carpentier (Philippe Jore, 43 ans, sans emploi, père de trois enfants, il habite à Saint-Martin-Boulogne) un grand sec taiseux mais observateur : plus disert que son acolyte, souple -il le faut avec une hiérarchie pareille-, parfois interdit devant l'incongruité des propos et des choix de son supérieur, toujours respectueux, quoi qu'il en pense, il se laisse parfois à philosopher -il a des lettres-, ce que ne manque pas de relever son chef, mi ombrageux mi taquin. Un lieutenant qui maltraite les voitures au démarrage et s'aventure à rouler sur deux roues. On en souffre à chaque fois. Pour résumer : un binôme pour le moins iconoclaste. La série est loufoque, extravagante, cocasse, comique, burlesque, absurde, poétique aussi, macabre, abracadabrantesque, morbide, grandguignolesque (les meurtres), déjanté, provocante (les deux gendarmes parlent de la religion en général, de l'islam en particulier, peu de temps après une fille meure dévorée par des cochons), absconse (la fin), désopilante, contemplative : les longs plans d'ensemble en Scope de la belle et ignorée campagne boulonnaise, des paysages indissociables du parler nordiste, les dialogues sont travaillés, P'tit Quinquin est tout cela à la fois, et bien d'autres choses encore -une enquête ubuesque. Disons surtout que sa radicalité assumée bouscule les canons du genre, et pas qu'un peu, en passant du réalisme le plus cru à l'égarement le plus total.

 

 

Parfois grotesques, pas plus vils et veules que leurs contemporains d'ici et d'ailleurs, les personnages ne sont jamais accablés. On rit quelquefois à leurs dépends, il ne viendrait à l'idée de personne de s'en moquer. Pas du tout le genre de Bruno Dumont. Une fois encore il nous fait côtoyer des abîmes : la condition humaine et l'emprise du mal. Un état des choses plombant subvertit par un amour d'enfance d'une tendre douceur insouciante. P'tit Quinquin, faux dur bosselé à la gueule cabossée, prend dans ses bras sa petite fiancée, blonde comme les blés, la discrète Ève, au doux visage, une fille de fermier, trompettiste dans l'orchestre du village. Ils s'appellent comme des grands mon amour  et se disent je t'aime. Frisons.

Quelques mots encore avant de conclure. D'aucuns parlent d'uniformisation culturelle liée à l'essor résistible de l'actuelle mondialisation. Elle aurait accouché d'un phénomène violent d'acculturation qualifié parfois de baléarisation ou de disneylandisation. Force est pourtant de constater que la mondialisation n'efface pas la diversité culturelle (au sens large) du monde (la variété linguistique par exemple, mais pas seulement). Au delà ou au deçà des polémiques que la série a suscitées, P'tit Quiquin en est la preuve la plus enthousiasmante du moment. La série n'élude pas pour autant la question de l'Autre : la xénophobie locale et le suicide du jeune garçon noir musulman occupent un épisode entier. La série se vend bien à l'étranger, l'accueil est souvent louangeur. Une totale homogénéisation des pratiques culturelles, surtout dans la consommation de produits dits mondialisés, n'est donc pas encore à l'ordre du jour. Ce n'est la moindre des réussites du travail de Bruno Dumont. Chapeau et merci.

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Publié dans pickachu

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