Mille sabords (Captain Phillips, un film de la plus belle eau ?)

Publié le par O.facquet

                                           

 

 

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Le commerce international est très majoritairement maritime. D'où l'importance à la fois économique, stratégique et politique qu'ont pris les détroits dans notre économie mondiale. Partant, l'accroissement de la piraterie au large du Yemen et de la Somalie est devenu un obstacle au ravitaillement commercial de l'Europe et des Etats-Unis. A cet égard, plus de la moitié des actes de piraterie sont commis au large de la Somalie depuis 1995. Une information qui n'a pas échappé au cinéaste britannique Paul Greengrass, lequel fut tout d'abord journaliste après ces études universitaires à Cambridge. Il s'est intéressé d'emblée aux mouvements séparatistes irlandais, ses premiers films, Bloody Sunday (musique de U2) et 15H10 Omagh en 2003, en témoignent. Un succès d'estime. Il y aura par la suite en 2004 La mort dans la peau et en 2007 La vengeance dans la peau. Le réalisateur s'impose sur le marché. Avec Vol 93 en 2005 (la révolte des passagers du vol du même nom le matin du 11 septembre 2001) et Green Zone en 2010 (un coup de griffe à la politique du gouvernement Bush en Irak), Greengrass revient à la (géo)politique (en fait à la géostratégie) et à au journalisme, en mêlant habilement fiction et documentaire, en particulier dans Vol 93. Nous retrouvons ce souci documentaire dans la première heure de son dernier film, Capitaine Philipps (Tom Hanks, parfait, as usual), sorti cet automne. Nous sommes en 1999. Le capitaine Philipps prend en main dans le port d'Oman de Falalah un navire de marine marchande américain Maersk Alabama. Un reportage sur le fonctionnement de la mondialisation et ses territoires : processus, flux et acteurs, tout à la fois. Une plate-forme multimodale, un hub, ses grues, les conteneurs et autres porte-conteneurs.

 

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Du bon travail de journaliste au service, par exemple, de l'Education nationale, pour le plus grand plaisir des géographes. Le bateau prend la mer dans le golfe d'Aden. Sur le littoral somalien un gros coup se prépare. La soldatesque s'invite violemment dans un village côtier miséreux pour extorquer de l'argent à quelques indigents désemparés, prêts à tout pour répondre favorablement aux objurgations d'aboyeurs surarmés. Un documentaire sur la piraterie (très) organisée en Somalie ? Se constitue une équipe de choc chargée d'attaquer au large un navire marchand. L'attaque, l'abordage puis la prise en otage du Maesk Alabama à plus de 230 kilomètres des côtes somaliennes sont filmés presque en temps réel. Fin perturbante et anxiogène de la première partie. Petit à petit le récit bifurque : Capitaine Phillips devient un film d'action américain archétypal, tous les attendus de ce genre de production cinématographique sont convoqués, jusqu'à la nausée parfois. Plus précisément, le film s'inscrit dans la tradition du cinéma américain de la sécurité nationale, poussée ici à son point d'incandescence. Depuis toujours aux Etats-Unis, le point d'articulation entre l'industrie du cinéma de sécurité nationale et l'Etat de sécurité nationale est le rapport parfois hystérique et/ou obsessionnelle à la menace (les pirates somaliens apprennent avec une joie carnassière que le navire bat pavillon américain). La production de stratégie repose sur l'idée d'une menace qui puisse légitimer la mise en place rapide de stratégies de défense et sécurité (Rambo II et III, Top Gun, Ennemis d'Etat, La chute du faucon noir, entre autres). Le cinéma, c'est le cas pour Capitaine Phillips, met en images ces menaces et la mobilisation des moyens qui sont décidés pour les éradiquer. On agresse l'Oncle Sam soudain vulnérable, est-il alors légitime qu'il se défende ? Les routes commerciales mondiales sont les maillons faibles de la globalisation économique ; l'Amérique -même post-impériale- doit réagir.  

En somme, une partie du septième art US accompagne régulièrement cette double scansion, par des films formatés à cet effet. Capitaine Phillips joue sur deux tableaux : il met en avant la force militaire américaine, sa rapidité d'exécution. En d'autres termes : le « hard power ». Toutefois, la notion de puissance est également liée à la capacité de fasciner et de séduire l'Autre : le « soft power ». Le divertissement, l'entertainment nord-américain, pour faire passer la pilule. Chez ces gens-là -comme chez nous-, on ne plaisante pas avec le business, money is money, alors attention, sinon ça va faire mal, mal finir, à bon entendeur : salut ! Message reçu cinq sur cinq ? Allez (sa)voir. C'est en tout cas celui envoyé par Capitaine Phillips dans la deuxième partie du film (un rien indigeste). Les moyens militaires disproportionnés déployés pour libérer le capitaine et récupérer le navire en disent long sur le sujet ; il s'agissait de créer les conditions du monopole de la violence d'Etat, afin de sécuriser les routes maritimes et les points de passage stratégiques des principaux détroits, et de neutraliser les gêneurs. Pour Alfred Mahan (1890) le « sea power » est un des objectifs majeurs des grandes puissances. Mission accomplie (dans le film). Momentanément (ce sont les causes de fond -le développement économique et politique- qu'il faut traiter pour vaincre la piraterie). Tout compte fait, qu'est allé faire Greengrass dans cette galère ? Et nous avec ? Il est sans doute préférable de n'en savoir rien. Accompagner de la sorte deux heures durant la géostratégie américaine, c'est quelque part une autre façon d'être pris en otage. Sans grand danger cependant. D'autre part, sur le même sujet, le Danois Tobias Lindholm, avec son Hijacking sorti cet été, fait montre d'une intelligente sobriété.

 

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Publié dans pickachu

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