L'inflexible : Le dernier des injustes de C.Lanzmann

Publié le par O.facquet

 

 

Une certaine presse est-elle injuste avec le dernier film du grand Claude Lanzmann ? Non. C'est plus compliqué que cela. Parlons-en. Rien à redire sur le monumental Shoah sorti en 1985, documentaire français indispensable sur l'extermination des Juifs d'Europe par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale, tourné dans les années 1976-1981. Le cinéaste Arnaud Desplechin en parle avec intelligence et sensibilité dans sa postface à l'ouvrage récit de Claude Lanzmann, Sobibor 14 octobre 1943, 16 heures, sorti aux Editions des Cahiers du Cinéma en 2001.

 

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Le dernier film de Claude Lanzmann, Le dernier des Injustes, vient de sortir. Il revient sur sa rencontre en 1975 avec Benjamin Murmelstein, mort en 1989, dernier président du Conseil juif du ghetto de Theresienstadt, ville dont Adolf Hitler disait qu'il en avait fait cadeau aux Juifs. Murmelstein fut d'abord chargé d'organiser à partir de 1938 l'émigration des Juifs autrichiens avant la Solution finale. Il était rabbin à Vienne. Devenu le responsable controversé à la fin de la guerre du ghetto modèle de Terezin, il a réussi au total à faire émigrer 121 000 Juifs et évita la liquidation du ghetto tchèque. Lanzmann exhume dans son film ces entretiens de Rome réalisés à l'époque de la préparation de Shoah. Des entretiens qui n'ont pas été retenus au montage dans les années 1980. Depuis 1945, la personnalité et l'action de Benjamin Murmelstein ont suscité bien des polémiques. A telle enseigne qu'il fut jusqu'à sa mort persona non grata en Israël. L'homme est fascinant, sa faconde et sa culture ne peuvent laisser indifférent. Tout le monde connaît Lanzmann : ses fulgurances intellectuelles et artistiques, son humanité, sa gentillesse spontanée, mais aussi ses accès d'humeur, ses colères homériques, sa mauvaise foi, son caractère irascible, sa susceptibilité légendaire, barricadé qu'il est derrière des certitudes qu'il juge indiscutables, le contredire, c'est prendre le risque de le faire sortir de ses gonds et d'être un temps excommunié. En somme : les défauts de ses qualités. Il a très mal pris les réserves pourtant bienveillantes et constructives qui ont accompagné la sortie du Dernier des Injustes lors du dernier Festival de Cannes. Le film est certes génial. Toutefois, il ne laisse pas de troubler, de laisser sur sa faim ici ou là. Expliquons-nous. Les Cahiers du Cinéma, sous la plume de Jean-Philippe Tessé et d'Ariel Schweitzer, dans leur Cahier critique, ont fait du bon boulot. Ils remarquent que pour la première fois Lanzmann cède à une forme de pathos, comme dans la visite de la synagogue de Prague, où il tente de provoquer au forceps de l'émotion. Il abandonne en outre la sécheresse de ton, la sévérité, la distance assumée, qui jusqu'ici avaient caractérisé l'ensemble de son œuvre (les seules distances possibles entre le sujet filmant, le sujet filmé et le sujet spectateur), en se mettant en scène à plusieurs reprises. Le contraste est ainsi frappant avec l'aspect concret de l'entretien avec Murmelstein, la partie effectivement la plus intéressante du film. Les choix esthétiques de Lanzmann, entrevues de témoins de la Shoah (dont certaines ont été obtenues par ruse), condamnation de la fictionalisation, et prises de vues sur les lieux du génocide, qui ont marqué, entre autres, l'histoire du cinéma, donc l'écriture de l'Histoire, marquent ici une évolution, puisque le cinéaste intègre dans son film des images fictionnelles, des dessins d'une grande force d'évocation exécutés sur place en cachette par des déportés, ou des images de propagande nazies. Les archives de toutes origines prolifèrent. De plus, la froideur (feinte?) de Murmelstein, le brio de son plaidoyer pro domo, sa tchatche intarissable, le flou sur ses motivations d'autrefois, peuvent à coup sûr déconcerter. Sur ce point, une grande prudence s'impose. Jean-Michel Frodon dit vrai : Lanzmann, au sujet de Terezin, parle au nom d'une vérité absolue, quand Murmelstein, lui, est du côté du relatif.

 

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Récemment, Lanzmann est allé en Israël interroger les derniers survivants du ghetto de Theresientadt. Nulle trace de ses témoignages dans Le dernier des Injustes, pourquoi ? Une raideur dogmatique préjudiciable. Murmelstein reconnaît lui-même qu'il ne fut pas un héros, ni un monstre, moins encore un saint, un martyr, simplement, comme les autres victimes juives de la Shoah, que craint alors Lanzmann en occultant ces rencontres récentes ? Il refuse -pour le moment- de répondre à ces questions. Sur le cite web des Inrockuptibles, Arnaud Desplechin prend la défense de Claude Lanzmann, et réfute avec profondeur et enthousiasme point par point les réserves susmentionnées. Une lecture stimulante. Un mot encore. Le film met au jour une singulière mise en abîme : les nazis inventèrent un conte à l'usage de ceux qui ne voulaient pas voir -le ghetto modèle-, pour sauver sa peau et quelques-uns de ses coreligionnaires, Benjamin Murmelstein reprend à son compte ce récit mensonger ignominieux -l'embellissement du ghetto-, il remet ça quelques décennies plus tard devant Lanzmann, en le déconstruisant pierre par pierre, sans que nous soyons certains que tout a été réellement dit et montré. L'image manquante ne serait pas cette fois-ci le sujet du Dernier des injustes. A voir. Un spectre hante pourtant le film, le fantôme d'Eichmann. Celui-là même que Lanzmann ne pourra jamais interrogé. C'est un des deux sujets du film : apporter la preuve que les conseils juifs n'ont collaboré avec les nazis que contraints et forcés, et que la supposée banalité du mal appliquée au cas Eichmann est une baliverne. Murmelstein est à ce sujet plus que convaincant, il le présente comme un démon doublé d'un manipulateur corrompu, loin de l'image du bureaucrate terne, obéissant et appliquée, véhiculée par Hanna Arendt. A son sujet, le concept se devait d'être balayé. La perversité même du nazisme : impliquer les victimes, les rendre à leur insu co-responsables de l'extermination des leurs. Qui plus est, Eichmann, des documents le prouvent aujourd'hui, était un antisémite impénitent. Rien que pour que cela, Le dernier des Injustes méritait d'exister. Lanzmann a vieilli. Sa présence appuyée à l'écran est moins choquante qu'émouvante. Il donne ses dernières forces dans une guerre contre l'oubli commencée il y a beau temps désormais.

 

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Notre compagnonnage touche à sa fin. La faucheuse rôde. Il y a quelque chose d'héroïque dans le geste lanzmannien qui emporte une nouvelle fois l'adhésion. Une mélancolie contagieuse envahit l'écran. C'est l'autre sujet du film : la disparition prochaine des derniers témoins de la tragédie. Ce constat implacable est à l'origine de la fébrilité marquée de Claude Lanzmann qui, comme Jean-Claude Milner, sait que le projet nazi a réussi puisque le judaïsme a disparu en Europe de l'Est. Ce qui explique sans doute que le réalisateur n'ait pas cherché à cacher sa proximité presque amicale avec Murmelstein. La fin du film les voit deviser bras dessus bras dessous. On le lui a reproché. Lanzmann, Claude. Un Juif de combat, qui a écrit un jour dans La Nouvelle revue de psychanalyse qu'il avait « ramené les morts de Shoah à la vie pour les tuer à nouveau ». Une œuvre unique, une vie à nulle autre pareille. Nous lui devons tant.

 

lien : http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19538397&cfilm=213881.html

 

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Publié dans pickachu

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