Salauds de riches ? Un moche coup (Elena d'Andreï Zviaguintsev)

Publié le par O.facquet

 

  Elena en DVD : Elena - AlloCiné

  

Les spectateurs sortent clivés de la projection du film russe d’Andrei Zviaguintsev, Elena (2011), sur nos écran depuis peu. La forme, autant que le fond, impossible à disjoindre, peuvent susciter la controverse. Des images-temps qui réclament de la patience, des dialogues distribués avec parcimonie –une économie de mots-, pas de champ-contrechamp, une caméra aux mouvements lents et souvent latéraux, des plans fixes interminables (le premier est superbe), une majesté du cadre, un montage au cordeau : des ellipses savamment orchestrées, une rigueur de mise en scène, donc, et un jeu d’acteurs tout en retenue. Une photographie glaciale. Le tout frise parfois le complaisance formelle. Sans oublier la musique inquiète et tendre de Philip Glass. Un cinéma moderne qui peut dérouter. On pense aussi à Simenon, Colombo, Chabrol et Antonioni, voire Hitchcock, pourquoi pas. Eh oui !

Elena (2011) - IMDb

 

Qu’en est-il du fond ? Elena et Vladimir sont à la retraite. C’est un ménage russe cossu, ils vivent dans l’aisance, l’opulence même. En quelques plans à l’intérieur d’un appartement luxueux, le cinéaste suit minutieusement le réveil du couple qui fait chambre à part (métaphore d’une possible lutte des classes ?) ; l’asymétrie de ces deux êtres est saisissante. Ils se sont rencontrés dix ans auparavant. Il était riche, malade et veuf, elle était infirmière, sans argent et veuve. Ils ont fini par se marier. Elle a un fils, Sergueï, qu’elle entretient, une belle fille, et deux petits-enfants, l’un est adolescent, une petite frappe, l’autre ne marche pas encore. Ils tournent en rond dans un appart lugubre. Il a une fille, jeune et jolie (la trentaine ?), une beauté fragile, Katarina vit des rentes de papa, ne le voit que rarement, le néglige, assume son oisiveté, attend le week-end pour profiter des paradis artificiels, ne cache pas sa gourmandise, ni sa passion pour la communion des corps –toute la semaine. Une vision glaçante d’une Russie congelée. Fond et forme s’accordent bien.

 

Elena" : un monde déserté par Marx et Dieu

 D’aucuns disent qu’Elena remet au goût du jour cette bonne vieille lutte des classes. Vladimir et sa fille, de par leur statut social, regarderaient de haut, avec un mépris non dissimulé, Elena et sa famille, d’autant que son fils vit en banlieue, au pied d'une belle centrale nucléaire, dans un HLM sordide, sans travail. D’autres trouveront ce point de vue grossier et paresseux. Sergueï est un fainéant vulgaire et macho en jogging et tee-shirt crasseux, un beauf dirait Cabu, il crache par la fenêtre, joue avec son fils des journées entières à la playstation, prend du bide, attend le soir pour regarder le foot en s’envoyant une énième bière. Vladimir (pour finir la vaisselle) refuse à Elena une somme d’argent censée aider son petit fils, soi-disant étudiant sans le sou, ni soutien. Qui plus est, il prévoit de léguer à sa mort, ses biens à sa fille ; sa femme, quant à elle, percevra une pension. Elena profite de la faiblesse de Vladimir, victime d’un infarctus, pour l’éliminer à coups de viagra (guerre des sexes ?). La fortune de monsieur est partagée en deux, une moitié pour Katarina, l’autre pour Elena. Elena joue les pleureuses siciliennes aux obsèques, puis fête en famille son crime parfait. Une famille qui s’installe dans l’appartement du défunt mari. Le petit-fils oisif crache du haut du balcon en regardant vaguement des ouvriers jouer au football pendant leur pose. Sergueï se fait reprendre par sa mère. Les pauvres ont le verbe haut. Pas du tout le genre de la résidence. Force est somme toute de constater qu’Elena est un film de droite. Des rapports de classes, si l’on veut, une lutte, là, il faudrait aller chercher loin. Non, ce qui en fait un film réac, c’est que le réalisateur ne donne aucune chance à Elena et sa famille, alors que Vladimir et sa fille, eux, bien qu’irritants, finissent par attendrir (la touchante réconciliation père-fille à la clinique). Un vieux beau, pausé, aux gestes pesés, une jeune femme accorte et gracile, deux intelligences vives, le goût des belles choses, une autodérision subtile, la partie est par trop inégale. Un manque d'élégance de la part du cinéaste. Syndrome La vie est un long fleuve tranquille. Une rencontre déséquilibrée. "Salauds de pauvres !" aurait pu faire dire Andreï Sviaguintsev à l’un de ses acteurs. A la toute fin du film, un plan en contre plongée sur le bébé, suivi d’un plan lointain des Bidochons au salon, suggère que le petit est bien mal parti dans la vie avec des parents pareils. On est en droit de tiquer devant cette misanthropie plombante. Et pas qu’un peu. Bien à vous. En Hollande, les tulipes sont belles… Quel rapport ? Vivement le joli mois de mai !

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Publié dans pickachu

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