L'amer à boire (La mer à boire de Jacques Maillot, 2012)

Publié le par O.facquet

       Mars 2012 - n°676 - Cahiers du Cinéma                                                                  

Le mois de mars est l’heure du choix pour les lycéens, c’est toujours une décision délicate, souvent anxiogène, tant celle-ci peut engager une vie entière. S’orienter, disent-ils, mais à l’âge des possibles, nombre d’étudiants se trouvent en tout point désorientés, d’autant que la période n’incite guère à la légèreté, moins encore à l’insouciance. Les Cahiers du Cinéma y consacre une partie substantielle de leur numéro du mois (N°676), avec en titre : « Guide du futur cinéaste ». Du bon boulot. Pas de sujets tabous, toutes les questions épineuses sont passées en revue, même celles qui fâchent. Le dossier est aussi un guide rigoureux et complet qui rassurera les lycées passionnés de cinéma, et, bien sûr, les familles, tourmentées à l’idée de voir leurs progénitures se diriger vers une profession de saltimbanques. Il est vrai que pour beaucoup d’appelés, peu d’élus. Le cinéma ne ressemble en rien au monde ouaté des bisounours. Et quand toutes les portes se sont fermées, il reste le point aveugle de ce dossier : le métier de critique, celui de passeur, un joli mot.

Livre : Le salaire du zappeur

« Reste que l’école buissonnière, qu’elle ait pour lieu le plateau ou la salle obscure, ou simplement une liberté revendiquée à l’égard de toute institution, demeure parfois le meilleur des apprentissages » écrit Florence Maillard dans son article Ils viennent d’ailleurs, page 40. Pas de quoi rassurer les familles, convenons-en… Risquons ceci : le passage par les multiples écoles citées dans Les Cahiers, ainsi que par les ateliers d’écriture régionaux qui ont fleuris ces vingt dernières années, uniformisent l’esthétique d’œuvres récentes, standardisent la direction d’acteurs, normalisent l’ensemble de la création d’un certain cinéma français. Non que les films soient mauvais, voire indigestes, loin de là, une impression toutefois de déjà-vu s’impose. Serge Daney disait que « ce qui distingue un film d’un téléfilm, c’est que dans un film, même les scènes intimistes sont du cinéma et que dans le téléfilm même les scènes spectaculaires sont de la télé » (Le Salaire du Zappeur, 1988, page 164). Il existe une maîtrise des distances qui différencie un film d’un téléfilm, voire d’une série bien de chez nous. Défalcation faite de quelques œuvres libres de toute homogénéisation, trop de films français, à force de délaisser la mise en scène, le travail sur le temps et le montage, au profit du scénario, de la dictature de l’écriture, finissent par manquer de spontanéité et par tous se ressembler (une diction identique, les mêmes intrigues, etc), quel que soit le sujet traité, le talent des acteurs, du chef opérateur, du photographe de plateau, des décorateurs, du scripte ou du cadreur. L’espoir de passer un jour sur le petit écran laisse le champ libre aux caractéristiques visuelles et narratives venues de la télévision, des séries françaises en particulier. La maîtrise des distances est un lointain souvenir. Prenez La Mer à boire, sorti récemment, de Jacques Maillot. Un film honnête, social-démocrate, sur un patron de chantier naval abandonné par sa banque (Daniel Auteuil, parfait, comme Carole Franck, malheureusement tenus en laisse l’un et l’autre). Il se bat jusqu’au bout pour sauver la boîte qu’il a passé sa vie à construire, et les emplois qui vont avec.

 patrimoine - La Mer à boire / un film de Jacques Maillot - Détail

Outre que certaines salles d’art et d’essai doivent se pincer d’avoir à programmer un film qui prend le parti d’un petit chef d’entreprise aux prises avec les requins de la finance, La Mer à boire est bancal, prévisible (l’ordinaire des gens ordinaires, le cinéma utile engagé, le drame social calibré), car trop écrit, pas assez sauvage ou instinctif, ça transpire le calcul, le travail au cordeau sans folie. Comme le dit la belle Christine Doinel (Claude Jade) à Antoine Doinel (Jean-Pierre-Léaud) dans L’Amour en fuite de François Truffaut (1979), « une œuvre d’art n’est pas un règlement de comptes, ou alors ce n’est pas une œuvre d’art ». Le scénario de La Mer à boire impose son pouvoir au détriment d’une mise en scène nivelée. D’où quelques grosses maladresses en forme d’actes manqués : l’apparition envahissante de la défunte épouse (un zest de fantastique pour voiler la faiblesse de la mise en scène ?), une risible escapade en Russie pour donner de l’épaisseur à un ensemble étique, deux histoires d’amour aussi inutiles que fades, un assassinat nautique, coup de force scénaristique, digne d’un épisode trash d’une série made in TF1 : une fin en queue de poisson. Jacques Maillot sait ce que filmer veut dire (c’est un admirateur de Claude Sautet, mais les temps ont changé, non ?). Qu’il jette à la mer ses carnets et fasse confiance à son talent, à l’improvisation, à l’imprévu. En un mot, qu’il se lâche ! Prions pour que les jeunes cinéastes en herbe prennent des chemins de traverse, qu’ils se jettent à l’eau, le savoir, ils le trouveront eux-mêmes, le savoir-faire, itou, le faire-savoir viendra dans la foulée.

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Publié dans pickachu

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