Jackson la fin (4)

Publié le par facquet




I said if
You're thinkin' of being my brother
It doesn't matter if you're black or white

                                          M.J.
                                   

Le vendredi 3 juillet dernier au matin, sur LCI, Luc Ferry et Jacques Juilliard palabrent, font le plein de vide, ergotent sur des vétilles, avant la relâche estivale. La semaine précédente, en verve, ils ont été, paraît-il, particulièrement cinglants à l'égard de Michael Jackson, l'artiste (quelque part, l'icône rit). C'est leut droit inaliénable. Avant de renvoyer chacun à ses pénates, l'animateur maison leur fait part de l'indignation mesurée de quelques téléspectateurs fidèles. D'abord surpris (surprise feinte...), nos doxosophes s'esclaffent, ricanements crispés condescendants, puis, brusquement, le ci-devant ministre de  l'Education nationale, très docte, lâche sèchement que "les intellectuels n'ont pas pour fonction de suivre le troupeau" et que "Jackson ne sera jamais Stravinski, le plus grand musicien du XX° siècle". Certes. Mais pourquoi tant de mépris ? Ces comparaisons hasardeuses ? D'où ces quelques mots d'un mouton du cheptel, comme ça, pour apporter une modeste pierre au débat en cours.

En 1982, nous sommes encore jeunes, et naïvement insolents, cheveux longs, gras à l'occasion, remugles de patchouli obligatoires et la rock culture comme quotidien : ses excès impressionnent, le reste offre une posture. Michael Jackson, c'est un peu l'ennemi, le camp d'en face : le bling-bling disco-funk, la vacuité des nightclubs, les paillettes, le fric comme horizon indépassable, une musique opium du peuple.
Lequel d'entre nous, à l'orée des années 80, s'est risqué à avouer le premier s'être procuré le vinyle Thriller ('82) ? Allez savoir, c'est loin désormais tout ça : comme le temps passe. Il faut dire que le vidéo-clip Billie Jean révolutionne d'un coup le genre avec son mini-scénario et sa chorégraphie (des cours pris avec le mime Marceau, dit-on, en fait il ne le rencontrera qu'une fois en 1995) : cela ne ressemble à rien ; décoiffante réalisation de Steve Barron, balade nocturne et solitaire. Chacun est pris de court : des claps et des claques. Pleins les oreilles et pleins les yeux (nous passerons sous silence -respectueux- les apparitions  cinématographiques dispensables de Jackson dans The Wiz de Sidney Lumet en 1984 et Moonwalker de Jerry Kramer en 1888). Billie Jean et son irrésistible basse électronique, qui aujourd'hui encore donne la chair de poule. Sans oublier le fameux "moonwalk"  (littéralement promenade lunaire, cette manière de marcher en arrière). "C'est un merveilleux danseur. Ses mouvements surgissent de l'intérieur et le voir évoluer est incroyable" de l'avis de Fred Astaire. Bien savoir bouger est un art : danser avec talent, c'est montrer ses émotions au moyen de mouvements corporels. Ils étaient géniaux ses entrechats de danseur assailli.
Les cinéphiles, et autres iconophiles, vont bientôt être comblés (rappelons que Jackson était déjà intervenu dans le livre-disque du film E.T. où il avait la fonction de narrateur, d'où son amitié avec Spielberg). Le très funk-rock Beat it, agrémenté d'un solo furieux du guitariste métal Eddie Van Halen (fallait oser, plus tard, Slash, guitariste des Guns 'n Roses accompagnera Jackson sur scène), fait tomber toutes les résistances. Le chanteur originaire de l'Indiana fait à présent partie du sérail.
Martin Scorsese (Taxi driver en 1976) tourne le clip : il réanime en seulement quelques minutes les chorégraphies street de West Side Story. Jackson s'encanaille, ça plait. Cinq ans après, Scorsese tournera le clip Bad de l'album éponyme (il nous refait le coup de l'affrontement de bandes rivales, cette fois-ci dans le métro new yorkais). Le vidéo-clip, en général , c'est "quelqu'un qui vous entraîne dans une suite de "raccourcis" sans oser vous dire que, de toute façon, il ne connaît pas le vrai chemin. Et c'est cela, justement, qui est intéressant". Daney, une fois encore, parle d'or.
Enfin, l'année suivante ('83), avec Thriller, surproduction de quatorze minutes, John Landis (The Blues Brothers en 1980) et Jackson rendent hommage à La Nuit des morts vivants (qu'il deviendra) de Romero, et ce clip, en creux, dévoile une partie de la face cassée du roi de la pop, hanté par des fantômes qui n'auront de cesse de le torturer. En 1991, le clip du tube Black or White (hymne antiraciste, John Landis de nouveau à la réalisation) exploite les techniques balbutiantes du morphing (clip façon United Colors of Benetton, illustration d'une permanente tentative de recréation de soi). Le plaisir que nous prenions aux clips, il y a 25 ans environ, était lié à une hésitation, à deux façons de les voir : soit un simulacre (fragments d'un tout perdu : la mort du cinéma), soit un symptôme (fragments d'un tout à découvrir : renouvellement des formes par exemple). Aujourd'hui le doute n'est plus permis : le simulacre l'a emporté sur le symptôme. Les innovations cinématographiques sont venues d'ailleurs. En outre, Michael Jackson aura surtout été un personnage de l'oeuvre du cinéaste David Cronenberg. Cronenberg (revoir la toute fin de Videodrome, 1982) qui a fait de l'énigme du corps et du dérèglement humain la matière angoissante de son travail : l'horreur intérieure, organique ou psychique est sa principale obsession. Des délires inquiétants sur l'état du corps, la grande inconnue de son oeuvre. Jackson aura constamment oscillé entre un amour narcissique démesuré et un dégoût abyssal de soi. Dans La Mouche ('86), l'irrémédiable transformation à vue d'un corps en insecte devient à la fois une interrogation sur ses possibles métamorphoses et sur la mort. L'homme confronté à ses démons (Faux semblants ('88) ou Thriller, voire Ghosts en '97, autre clip du chanteur). Le cinéma de Cronenberg, une autre façon de comprendre l'homme-réceptacle (miroir) que fut l'immense Michael Jackson ("A pas vouloir vieillir, on meurt avant les autres" a chanté Renaud autrefois). Telle l'artiste française Orlan, adepte de la chirurgie plastique pratiquée sur son propre corps depuis le début des années 1990 (les selfs-hybridations : transformation du corps par des implants), M.Jackson a été, à sa façon, un "naîf" du body-art : il a fait de sa vie une performance, entre défiguration et refiguration. Jean Baudrillard a écrit des choses fortes à ce sujet dans Cool memories : "Voyez Michael jackson, Michael Jackson est un mutant solitaire, précurseur d'un métissage parfait parce que universel. La nouvelle race d'après les races. Les enfants d'aujourd'hui n'ont pas de blocages par rapport à une société métissée : elle est leur univers et Michael Jackson préfigure ce qu'ils imaginent comme un avenir idéal. A quoi il  faut ajouter que Michael s'est fait refaire le visage, décrêper les cheveux, éclaircir la peau, bref qu'il s'est minutieusement construit : c'est ce qui en fait un enfant innocent et pur -l'androgyne artificiel de la fable, qui, mieux que le Christ, peut régner sur le monde et le réconcilier parce qu'il est mieux qu'un enfant-dieu : un enfant-prothèse, un embryon de toutes les formes rêvées de mutation qui nous délivreraient de la race et du sexe...". No comment.
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Publié dans pickachu

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