Une affaire de femmes, entre autres choses (la mort de Claude Chabrol)

Publié le par facquet

Les BONNES FEMMES | LE TOUR D'ECRAN

  La mort de Claude Chabrol fut une douleur pour tout ceux qui se font une certaine idée du cinéma. Et le bonhomme était truculent et d'une gentillesse spontanée, plutôt rare dans l'écosystème cinéphilique. C'est un secret pour personne : les Jeunes Turcs des Cahiers du Cinéma du milieu des années 50 (Chabrol, Godard, Truffaut) ne viennent pas de la gauche de l'échiquier politique. Tant s'en faut. Par pure provocation ? Allez savoir.

Claude Chabrol, précurseur du cinéma français moderne | TV5MONDE Europe

Claude Chabrol, dans son ouvrage Et pourtant je tourne (1976), présente ainsi sa conversion : "Le 13 mai 1958, j'étais à Cannes pour présenter Le Beau Serge. J'étais très inquiet. On entrait peut-être dans une ère fasciste. Des Comités de défense de la République se sont constitués. A vrai dire, on n'était pas très nombreux pour défendre la République : une cinquantaine, tout au plus : Autant-Lara, un acteur, Jacques Charby, quelques figurants. Ma réaction devant le danger de dictature militaire m'a au moins appris que j'étais de gauche, ce que j'ignorais jusqu'alors". Autant-Lara en défenseur de la République et de la démocratie lors de l'agonie le IV° République, lui qui finira au FN dans les années 80, certains bipèdes décidément vieillissent plus mal que d'autres. Passons. En 1957, lors du tournage du Beau Serge, Chabrol est donc sans étiquette. En 1958 : naissance d'une conscience politique. Ce qui n'empêche pas Roland Barthes, d'habitude plus policé, d'éreinter le film, dans un article publié dans Les Lettres Nouvelles en mars 1959, dans la rubrique "Mythologies" : Cinéma droite et gauche, dans lequel le contenu idéologique du Beau Serge, ainsi que l'ensemble du travail de La Nouvelle Vague, en prennent pour leur grade, et pas qu'un peu : "Mais un artiste doit savoir qu'il est entièrement responsable du terme qu'il assigne à ses explications : il y a toujours un moment où l'art immobilise le monde, le plus tard possible est le mieux. J'appelle art de droite cette fascination de l'immobilité, qui fait que l'on décrit des résultats sans jamais s'interroger, je ne dis pas sur les causes (l'art ne saurait être déterministe) mais sur les fonctions (....) C'est quand le film de Chabrol finit, que le vrai problème commence : l'être de la bonté ne tient pas quitte de ses modes, et ses modes sont solidaires du monde entier, en sorte qu'on ne peut jamais être bon tout  seul. Dommage que ces jeunes talents ne lisent pas Brecht. Ils y trouveraient au moins l'image d'un art qui sait faire partir un problème du point exact où ils croient l'avoir l'avoir terminé". C'est sans appel.

LES BONNES FEMMES] Claude Chabrol, 1960 - CHAOS

Claude Chabrol a toujours hurler son indifférence aux critiques, comme aux honneurs et aux modes, force est de le reconnaître. Qu'on nous permette en conséquence d'égratigner Les Bonnes femmes, son quatrième film, mal accueilli à sa sortie en 1960, jugé vulgaire, poisseux et misogyne. A tort.

Quatre jeunes femmes d'une vingtaine d'années gagnent leur vie comme vendeuses, dans une boutique parisienne d'électro-ménager. Leur existence est végétative. Elle ne porte pas grand intérêt au monde qui les entoure. Les hommes qu'elles fréquentent -un bidasse et un dragueur plus très frais- ont eux aussi une vie pour le moins sommaire. Chabrol juge qu'elles sont dignes d'intérêt, aliénées qu'elles sont. Il a toujours dit que Les Bonnes femmes était un film sur l'aliénation. Le subtil critique Joël Magny a même écrit que Chabrol nous offrait avec Les Bonnes femmes "le miroir le plus piégeant jamais inventé par le cinéma". Vite dit. N'importe ! Le cinéaste ne filme pas ses personnages à hauteur de femmes (Bernadette Lafont, Stéphane Audran, Clotilde Joanno et Lucile Saint-Simon). Il filme des marionnettes. Il ne leur laisse aucune chance, la plus élémentaire morale pourtant. Tel un entomologiste, Chabrol se penche sur son sujet comme sur de simples insectes. Il prend tout le monde de haut, partant, se prend trop au sérieux. Le miroir réfléchit, mais mal, c'est en somme un miroir déformant, voire glaçant. Paradoxe : une bande d'acteurs s'échine à sauver leurs personnages moyens d'un possible inintérêt, vieille ficelle du cinéma de la Qualité Française que fustigèrent en leur temps dans Les Cahiers du Cinéma, Chabrol et ses copains. Le film n'est pas vulgaire, moins encore misogyne. Les hommes n'y sont pas mieux traités que la gente féminine. C'est d'autre chose qu'il sagit ici. De cette fascination pour l'immobilité dénoncée par Barthes. Si le fond et le forme sont en outre indissociables, certains gros plans assassins, toute cette laideur revendiquée omniprésente, un vain jeu de massacre souvent cruel, quelques scènes d'hystéries collectives ou individuelles vachardes, font montre d'un cynisme gênant, d'une méchante ironie sans nuances (d'aucuns diront que c'est le but recherché...). Une forme de misanthropie potache qui dérape, ce qui dans Les Bonnes femmes rapproche plus Chabrol d'Autant-Lara que de Godard, par exemple. On est en droit de préférer le Chabrol de La Femme infidèle ou des Noces rouges.

Fema La Rochelle | Bonnes Femmes (Les), Claude Chabrol

Philippe Rozier, dans Adieu Philippine (1962), ce "beau film maudit" selon Truffaut, saura, lui, filmer l'insouscience de la jeunesse avec une fausse désinvolture (la guerre d'Algérie rôde), drôlerie, tendresse, fraîcheur, spontanéité et naturel, loin de l'idéologie rance, pas si nouvelle que cela, véhiculée par Les Bonnes femmes. Soyons aussi caricaturaux et manichéens avec malice : Chabrol est de gauche, son film est de droite.

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Publié dans pickachu

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