Saut d'obstacles (Au Galop de L.-D. Lencquesaing)

Publié le par O.facquet

 

 

   

 

 

Trop parisien, bobo germanopratin, nombriliste, intello, cérébral jusqu’à l’excès, suffisant, complaisant, sans oublier un procès en facticité, allenien sans le talent,  Au Galop, le premier film de l’acteur  Louis-Do Lencquesaing, n’a pas été épargné par une certaine presse spécialisée de la capitale. D’aucuns ont aussi trouvé ce premier opus faiblard, mou du genou, pâle reflet d’une certaine tendance du cinéma français, de Truffaut à Desplechin, entre autres.  C’est la crise : n’est-il pas à cet égard indécent de filmer les vapeurs existentielles d’une tribu privilégiée, clament haut et fort quelques fâcheux à qui on ne la fait pas ? Vieille rengaine. Oui, Au Galog nous plonge dans un milieu au capital culturel et financier confortable. Oui, Paris est une nouvelle fois un des personnages du film, comme souvent dans cette veine cinématographique made in France. Oui, enfin, on nous demande de compatir aux affres sentimentales de bipèdes gâtés par la vie aux plaintes parfois agaçantes, jamais déplacées. Voyons voir. Ada (Valentina Cervi) travaille dans l’édition. Elle est belle, italienne, douée, bien mariée, un couple assorti, maman d’une petite fille malicieuse.

                                                                      

Elle entend se marier incessamment sous peu. Elle croise Paul (Louis-Do Lencquesaing), un écrivain divorcé, guère à cheval sur les principes, dans une fête branchée comme seuls nos cinéastes savent les filmer, il se prend les pieds dans le gazon, s’écroule aux pieds d’Ada, il en tombe littéralement amoureux. Ada succombe, après quelques péripéties cocasses, au charme du quadra. Il apprend entre temps que sa fille Camille (à la ville comme à l’écran, Alice) est la baby-sitter de la gracile trentenaire. Pour aller plus loin, faut aller plus près. Incroyablement près, donc extrêmement fort. Ils s’en donnent à cœur joie. Le contact des deux épidermes est explosif. Une addiction sensuelle. Leurs émotions, leurs frissons transpirent à l’écran. Louis-Do Lencquesaing capte cet amour naissant avec tact et tendresse. Un marivaudage contemporain subtil. Un entrelacs d’affects sans repère. Parfois grave sans explosions hystériques superfétatoires. Un équilibre difficile : le défi est relevé. Le père de l’écrivain meurt, une mère et grand-mère fantasque et envahissante –Marthe Keller, génial- exécute un vrai one-woman-show, un régal. Entre exaltation et abattement, rires et larmes, elle irradie le film de sa présence. A l’instar de Michel Franco dans Despuès de Lucia, le réalisateur film avec justesse la tendre et saine complicité qui unit un père et sa fille, étudiante, en l’absence d’une mère occupée ailleurs. Bouleversant, tant pis si le mot est galvaudé. La crise de fou rire lors des obsèques du père (Bernard Verley), qui rassemble la mère, le fils, sa fille, et le frère, l’excellent Xavier Beauvois, est irrésistible.

                                                                                                                              Trop parisien, endogamie sociale irritante, écrivent-ils ? Et alors ? Le singulier conduit souvent à l’universel. C’est le cas ici, dans un film bancal, et sans doute modeste, par choix, mais qui nous touche plus qu’à son tour. Il vous attrape pour ne plus vous lâcher. Ce n’est pas si courant. L’amour est la dernière aventure de l’homo post-moderne désormais sans illusion. Le couple adultérin que forment Ada et Paul est beau. Leur relation les arrache à la glue quotidienne, les dispense de l’anecdotique mortifère. Fait rêver. Nous trouble profondément. Les vitamines du bonheur d’un monde désenchanté et cynique. La démarche désabusée, un rien surjouée, faussement misanthropique de Paul, séducteur vieillissant au regard de chien battu travaillé, est touchante. Ada est aussi belle qu’insaisissable, ce qui donne du piment au film. Prise en étau entre deux corps, deux hommes, deux vies, ces valses hésitations intriguent.      

                                                                                                                                     La jeune Camille est parfaite, loin des stéréotypes du jeune au cinéma, les tics de langage et les comportements attendus sont rares. Bien vu. Elle n’a pas les pieds dans le même sabot, la gamine. Enfin, et surtout, Serge Daney disait que le cinéma est une fenêtre ouverte sur le monde, qu’il donne aussi l’occasion d’approcher des milieux qui ne nous sont pas familiers. Pour moult raisons. Au Galop est l’occasion d’aller voir ailleurs. Et de constater, ici et là, qu’il est beau d’aimer et de l’être en retour. Que vivre fatigue. Dans le XVIème arrondissement comme à Sarcelles. Pas de racisme social, donc. La confusion des sentiments : tout simplement. A vos amours.

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Publié dans pickachu

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