Cinéma palmé

Publié le par facquet

 

              

"Les plus jolies choses du monde, Tom,
ne sont que des ombres."


                       Charles Dickens


                                                                                                                                                                                                                     Le cinéma de Michael Haneke souffre d'un didactisme envahissant. Il est en outre un brin prétentieux. Metteur en scène poussif (d'où ces maladresses sources d'équivoques), et tape-à-l'oeil (ceci expliquant cela), son approche de la violence, donc du mal, sent son Kubrick (Orange mécanique), mâtiné Bergman (la hantise du péché et une sexualité mortifère), mal digéré. Les sociétés autoritaires-disciplinaires de jadis n'ont pas toutes accouché de guerres mondiales, moins encore d'une forme quelconque de totalitarisme. Analyse restrictive et mécaniste des processus historiques. Elle aurait fait rire Freud (relire Malaise dans la civilisation), et Marx, lui qui parlait si bien des superstructures mentales. Haneke est d'autant moins fondé à dé-historiser son film que celui-ci ne peut être lu comme une méditation abstraite sur la condition humaine, puisqu'il est doté d'un référent historique (l'Allemagne d'avant la Première Guerre mondiale ; en outre, d'entrée la voix off attire notre attention sur les enfants qui auront tous dans la trentaine d’années vers 1933…). Le Ruban blanc est un film de photographe de plateau, une thèse mise en images, pas en scène. Nous assistons au défilé ennuyeux de jolies cartes postales soignées. Une idolâtrie des images. 

C'est du cinéma filmé pour festival. Le noir et blanc est splendide. Une exposition est envisageable : des photogrammes superbes. Un mot encore : Bergman (il s'est planté lui aussi avec son Oeuf du serpent en 1978) a été élevé par un père pasteur austère et grand amateur de châtiments corporels. Le cinéaste, comme la Suède, a su exorciser ses démons sans recourir à la violence.
Il y a en outre dans Le Ruban blanc quelques séquences insupportables. Un jeune garçon cherche sa soeur, suspens grossier, il l'a trouve dans le cabinet médical de son père, scène d'inseste inutile, aguicheuse, la pédophilie du médecin ayant été révélée aux spectateurs quelques minutes plus tôt. N'importe ! Cela fera toujours causer dans un débat post -projection. Des Allemands autoritaires, insestueux, pédophiles, rigides, prêts à torturer un jeune garçon trisomique : quand on sait, et Haneke ne pouvait pas ne pas savoir que cette séquence raviverait des souvenirs nauséabonds, le sort qu'ont subi certains indésirables durant le Troisième Reich, on en veut au réalisateur ne pas s'être posé quelques questions préalables. Le nazisme a permis cette ignominie, pas l'ensemble du peuple allemand. Toujours se méfier de la haine de soi, Monsieur Haneke, elle est mauvaise conseillère. Elle produit des généralisations consensuelles incontrôlables, des indignations grégaires, souvent pour le pire, rarement pour le meilleur. Des anachronismes séduisants, mais dangereux (qu'il s'engage donc à tourner une fiction avec comme unique sujet un hôpital psychiatrique français au début du XX°siècle). La morale est indivisible. Epineuse, douteuse, et finalement douloureuse question de l'identité nationale... Un puits sans fond. Continuons. La mère du jeune handicapé subit les sarcasmes de son amant -le toubib, père de l'enfant-, les propos peu amènes qu'elle subit ne sont pas l'apanage d'une époque révolue, puisqu'une femme meurt aujourd'hui tous les trois jours sous les coups de son compagnon dans le pays des Droits de l'Homme -et du citoyen : la France ! Un enfant offre un oiseau à son géniteur qui repousse sans tendresse le présent : il s'est trouvé un journaliste pour déceler dans la déception du môme les graines du national-socialisme. L'économie n'explique pas tout, toutefois, les 6 millions de chômeurs que compte l'Allemagne en 1932, éclairent en partie les scores électoraux obtenus par Hitler et son parti à ce moment-là. Qu'une jeune fille âgée de 17 ans, à peine fiancée, hésite à sortir des sentiers battus pour pique-niquer en compagnie de son prétendant, n'annonce pas les lois de Nuremberg (en ce temps-là, "on se touchait du bout des doigts, la pillule n'existait pas"). Nom d'une pipe en bois ! Il va sans dire que l'Allemand ne rit pas à cette époque-ci. Ou il est doublé. Quelle blague ! "La gravité est le bonheur des imbéciles" a écrit Montesquieu. C'est à celui ou celle qui tirera le mieux une tronche de six mètres de long. A trop vouloir forcer le trait, le cinéaste suscite l'ennui, voire le sarcasme (de votre serviteur, en tout cas). Le regard posé par Haneke sur la condition humaine est plus noirci que noir. Le Ruban blanc impressionne, par la qualité de la photographie -la prolifération du chancre des belles images qui tue le plan : un noir et blanc qui fout une peur bleue : la trouille, le seul moteur du film-, par la gravité des sujets traités -comme on dit au JT-, sur lesquels il va falloir se pencher, le sérieux des commentateurs culturels, la pseudo enquête policière autour d'événements insolites, sans oublier une campagne promotionnelle avantageuse et son prix (film palmé, ô combien...). Avouer sa déception, c'est passer, sinon pour un snobinard en quête de reconnaissance, du moins, pour un rabat-joie irrécupérable : "Comment, vous n'avez pas aimé le film ?".  Eh oui ! c'est comme ça. Avec ce style de fiction, l'enjeu est souvent un secret lourd de conséquences collectives, déposé dans des corps individuels. Les plus réussies sont contemporaines des terreurs qu'elles mettent en scène. Pour Haneke, un siècle après, il ne s'agit plus de mystère, mais de la procession accablante d'idées reçues sur la montée au mieux du militarisme allemand (c'est pas sérieux), au pire du nazisme (sur l'éthos germanique, au passage, surtout, et malheureusement). Or, le cinéma c'est du temps, comment passé d'une chose à une autre. On est ici loin du compte. Encore que. Somme toute, un compromis est possible. Il est envisageable qu'en imposant ce jeu de pistes pervers, Haneke ait cherché à tromper son monde. Autrement vu, qui sait si Le Ruban blanc ne fait pas en définitive le constat terrible que la quête maniaque des origines est une impasse ? A l'instar de Coppola dans Apocalypse Now, le talent en moins. Se forcer à y croire. Allez savoir. Le débat continue.
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Publié dans pickachu

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