Mythes errants à l'Ouest de la rivière Pecos (Sept secondes en enfer de John Sturges, 1967)

Publié le par O.facquet

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  Le clan Earp et Doc Holliday, pétoire à la main 

1967 : John Sturges tourne Sept secondes en enfer (Hour of the gun), suite directe de Règlements de comptes à OK Corral (Gunfight at the OK Corral), du même, sorti dix années plus tôt. Tombston, 1881, Arizona : les pérégrinations tumultueuses de la famille Earp et du joueur de poker Doc Holliday, chasseur de primes alcoolisé sur le déclin. Le film impressionne par son efficacité toute classique. La distribution est à la hauteur de l'enjeu : James Garner (La grande évasion de J.Sturges, 1963, au jeu étrangement fade), Jason Robards (Il était une fois dans l'Ouest) et Robert Ryan (La horde sauvage de Sam Peckinpah, 1969). Sept secondes en enfer sort au moment même où le western se renouvelle, sur un mode maniériste (Sergio Leone, Il était une fois dans l'Ouest, 1968), ou parodique, T'as le bonjour de Trinita (1967) de Fernando Baldi avec le grand Terence Hill (roi du pastiche), entre autres. C'est un western crépusculaire, nostalgique, presque mélancolique, élégiaque, oui, et qui s'assume comme tel : le marshall Wyatt Earp se range des voitures (il lui aura fallu auparavant assouvir sa haine jusqu'à plus soif) et Doc Hollyday (malade, mais serein, violent contre son gré) pose ses valises pour vaincre son vice. Un combat honorable contre soi-même. L'Amérique se normalise. La rigueur capitaliste (et son pouvoir d'homogénéisation) prend le pas sur les aventuriers sans toit, insouciants du lendemain. Le train est le vecteur d'une nouvelle organistion économique et sociale. On craint l'invasion d'entrepreneurs avides venus de la côte Est. Les héros sont fatigués. Ils abandonnent leurs chevaux au profit d'automobiles de plus en plus rapides. Un régime sans selle. Une paix des braves met fin à l'aventure du farwest. Un embourgeoisement général. A la toute fin du film, le duel final illustre ce changement de vitesse. Traditionnelle dans sa facture, cette figure imposée montre des signes de fatigue, les acteurs semblent ne plus trop y croire, ils font le minimum syndical, partant, ouvrent la porte au geste maniériste, un raffinement minutieux sur des formes antérieures -revoire surtout à cet égard le duel d'anthologie d'Il était une fois dans l'Ouest (1968), qui voit s'affronter Henry Fonda et Charles Bronson sur une musique d'Ennio Morricone. Une revitalisation du genre, un ressourcement fécond. 

Sept secondes en enfer - film 1967 - AlloCiné

Doc Holliday

 Sept secondes en enfer est aussi la belle histoire d'une amitié virile (pas de femmes dans le film, faut faire avec, c'est dur), Wyatt Earp et Doc Holliday avancent d'un même pas, leurs destins se confondent, nul besoin de grands discours pour se comprendre, un mot fait l'affaire, un regard suffit. Les amoureux comprendront. C'est un western, un bon, la loi du talion est donc le thème principal du film : la vengeance obsessionnelle ou le respect de la loi, la sublimation de pulsions archaïques versus le défoulement brutal faussement réparateur, ces apories mises en images animent continûment des personnages déchirés, compexes, ce qui fait la force imparable de Hour of the gun. Pas seulement.

 

Le méchant Ike Clanton (Robert Ryan)

Le western hollywoodien fournit aux Etats-Unis, une très jeune nation, ce lot de légendes indispensable à l'histoire de toute communauté humaine. Il faut faire entrer des mythes au logis. Proposer urbi et orbi des récits légendaires. Le grand Ouest est une immense contrée qui a connu des épopées fabuleuses. Calamity Jane, c'est Jeanne d'Arc à Orléans, Wyatt Earp, Bonaparte au pont d'Arcole, Davy Crockett, Vercingétorix à Alésia, Lincoln : Henri IV, pour le fin tragique. Donner le goût des origines à une nation aux racines insaisissables. Il faudrait évoquer ici le sort réservé aux Amérindiens. Les exploits -équivoques dans Sept secondes en enfer : une idéalisation nuancée qui annonce Arthur Penn et Sam Peckinpah- de la famille Earp est un des moments mythiques exploités par le western américain. John Sturges n'a pas laissé passer sa chance. Par deux fois, au moins, avec talent, il s'est fait au forceps une place parmi les rares artistes qui ont construit le passé d'un pays pathologiquement tourné vers l'avenir. God bless America.

 

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Publié dans pickachu

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