La forme d'une ville

Publié le par facquet

antonioni.jpgUn souhait : que ces quelques mots encouragent les amis Roger et Anne-marie à revoir L'Eclipse (1962) de M.Antonioni. Et qu'on en reparle à Blois ou ailleurs autour d'un bon vin. Antonioni et L'Eclipse, Prix spécial du jury, Festival de Cannes 1962. Un film à nul autre pareil. Monica Vitti et Alain Delon forment un des plus beaux couples de l'histoire du cinéma. L'érotisme détaché de l'actrice, ce chemisier légèrement entrouvert que surprennent et la caméra et le regard furtif de l'acteur. Filmer une séparation est une chose : en montrer quelque chose de neuf en est une autre ; retour à la forme, donc à la mise en scène. Donner à voir l'insondable vide qui se crée alors, le sol qui se dérobe sous les pieds des anciens amants, voilà la force et l'originalité du premier quart d'heure du film, que nul artiste ne peut désormais ignorer. Elle : robe noire, va et vient, abîmée dans ses pensées ; lui : une chemise blanche, bourrelé d'inquiétude, son profil morne exprime une contrariété grincheuse. Un silence insupportable, une tension perceptible, quelques rares échanges âpres. Une nuit blanche : le jour se lève sur Rome (moments parfois euphoriques ou angoissants). Elle le quitte. Se lève, s'en va. Un couple se défait : un autre se fait -pas tout à fait. Vittoria (Monica Vitti) tombe amoureuse de Piero (Alain Delon), comme on se raccroche à une branche pour ne pas se ramasser. Il est agent de change : c'est un hyperactif a priori futile (scènes d'anthologie à la bourse de Rome). Vittoria fait du surplace. Saisissants contrastes (chacun conjure ses angoisses comme il peut). Une jeune femme lassée par l'existence. Il s'agite, elle contemple : mi désabusée mi amusée. C'est une cérébrale. Un curieux mélange de tristesse et de joie passagère l'étreint. Pas de désespoir, pourtant (nous ne sommes pas chez bergman -Une passion, excellent). Elle ne fuit pas non plus. Elle semble toutefois touchée par une forme de mutisme : les mots sont galvaudés ; ils ne peuvent plus rien rendre. La vie devient une simple formalité. Jeux (de l'amour). Chimères (l'argent compensateur). Tout semble absurde. Elle se laisse porter par les circonstances, fait semblant d'y croire, donne le change. D'où l'errance maintes fois relevée de Vittoria dans les rues de la capitale italienne. Nous sommes au début des années soixante : comme Jacques Tati à la même époque, Antonioni se fait le témoin des métamorphoses des villes européennes. Modernité architecturale : modernité cinématographique. Le relâchement de la narration classique, miroir des bouleversements urbains, partant psychosociologiques. Et vice versa. Autre point de concordance avec le réalisateur de Playtime : le son. Il est un personage à part entière. Antonioni est lui aussi un des inventeurs du son moderne au cinéma (ça déjà été dit, bien sûr). A la toute fin du film : cinq dernières minutes mémorables (elles ont fait couler beaucoup d'encre). Succession de plans sur une ville qui se vide, bientôt déhumanisée-, la nuit tombe : gros plan sur un luminaire éblouissant. Aveuglement. Dans le ciel court la masse des fils électriques, rien d'autre. Le non-sens absolu : le monde pourrait sans problème continuer sans nous. Crainte et vanité. Jamais un artiste ne l'avait mis en forme de la sorte. Rarement un film n'avait posé autant de questions et donné si peu de réponses. Snobisme assumé : il y a bien eu un avant et un après Michelangelo Antonioni ; idem pour Ingmar Bergman (en reparler). of

Publié dans pickachu

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