Séries gagnantes (3)

Publié le par facquet





A la mémoire de mon père, que le personnage de Tony Soprano intriguait particulièrement
(le 12/08/O9)



Même si le genre semble actuellement marquer le pas, il y a bien eu ces quinze dernières années un âge d'or de la série télé, une vogue qui n'a cessé de s'accentuer, au point de contrarier quelques évidences hiérarchiques : la grandeur pour le grand écran, la petitesse pour l'autre. Godard : le cinéma se regarde l'oeil tourné vers le haut, la télévision se voit le regard tourné vers le bas. Daney : le cinéma c'est le monde, la télé la société, seulement la société (il a toutefois écrit autrefois de très belles choses sur Columbo). L'affaire semblait entendue. Le cinéma est parfois un art, un statut auquel la télévision ne pourra jamais prétendre. 
Badamoum ! S'invitent dans le poste : Twin Peaks (créée par David Lynch, la matrice), Urgences, Friends, Ally McBeal, Sex and the City, Les Soprano,  Oz, La Maison Blanche, Band of Brothers, Boston Public, Les Experts, Alias, 24h Chrono, New York Police Blues,  Prison Break, et sans doute la plus grande de toutes : Six Feet Under. Ingénieuse Amérique. Vifs débats au sein de la cinéphilie : les amateurs du genre ne sont-ils pas en train de se faire abuser par un simple effet de mode ? Il a fallu argumenter sévère, ferrailler dur (un combat déjà mené par l'immense critique Louis Skorecki il y a beau temps -25 ans ?- dans Les Cahiers du Cinéma, dans une suite d'articles intitulés La loi des séries), montrer ce qui fait la spécificité de la série télé, son extrême sérieux, sa discipline de fer, à partir de quoi se disposent variations et petites différences, épisode après épisode. On a qu'une envie : retrouver le prochain.
A telle enseigne que certains films souffrent à présent de la comparaison, voire, plus précisément, déçoivent, faute d'avoir daigner jeter un coup d'oeil curieux vers le poste. Prenez par exemple Public Ennemies de Michel Mann (l'ensemble de la critique encense le film, elle flatte avec excès...), où Johnny Depp est John Dillinger, pilleur de banques en mal d'amour. Ce n'est pas un mauvais film, loin s'en faut. Or, il déçoit pourtant, et plutôt deux fois qu'une : une allure de déjà-vu sans la saveur maniériste vintage, la lassitude s'impose devant tant de perfection, l'ennui gagne vite certains spectateurs. Parmi eux : les fidèles des Soprano (créée par David Chase, né DeCesare...). La série suit les pérégrinations d'une famille italo-américaine dont le père est un chef mafieux new yorkais. Il ne suffit pas d'écrire que Public Ennemies est "un portrait virulent des fondements du capitalisme d'aujourd'hui, à travers la figure romantique d'un gangster un peu anar" comme l'ont fait Les Inrocks, pour le dispenser de tout examen critique bienveillant. Ce qu'ont Les Soprano qui fait défaut au film de gangsters de Michael Mann ? Un peu d'air et de flou, un mixte original de comique et d'austérité. Surtout, en s'installant dans la durée, la série prend le temps d'évoquer tout ce qui a trait au quotidien -les soucis de santé, les amours, les problèmes familiaux, les fluctuations conjugales, la spiritualité-, ces éléments qui participent aux réflexions de chaque individu au moment de faire des choix. Des tranches de vie qui valent de l'or (rien à voir, toutefois, avec le soap opera, style Santa Barbara). Sans jamais cependant en rabattre sur les exploits peu recommandables des hors-la-loi. Il faut vanter à cet égard l'acteur James Gandolfini, et le personnage Tony Soprano (un personnage, c'est-à-dire quelqu'un qui se distingue par son comportement, son apparence). "Quelle merveille de voir un acteur si peu soucieux de s'afficher plus intelligent que son rôle" a écrit Emmanuel Burdeau dans la revue Trafic fondée par Serge Daney en 1991. Tony Soprano : un colérique redouté, tendre à ses heures, cinéphile, capable soudain d'une violence inouïe, un observateur avisé, un calculateur subtil, un angoissé chronique, tout ça à la fois, un personnage hors du commun, d'une rare épaisseur, dans tous les sens du terme -Le Monde TéléVisons, daté des 9 et 10 août derniers, est à côté de la plaque en suggérant que Tony Soprano est exclusivement un "beauf nouveau riche, glouton aimanté par le frigo". Portrait ô combien réducteur. N'importe !  En comparaison, les faits et gestes spectaculaires et glorieux de John Dillinger/Johnny Depp apparaissent désormais bien fades, ou plats, c'est au choix -un rédacteur des Cahiers du Cinéma de l'été 2009 parle d'un obscur retour à la préhistoire de la psychologie . Un peu facile. Passons. Un train (une série ?) de retard, en tout cas. Des remugles de naphtaline.
Le cinéma a perdu sans doute son monopole de créateur de formes et de récits. Il ne le sait pas encore, ou feint de l'ignorer. De nombreux films néanmoins s'en ressentent déjà. Quant aux séries télé, comme toujours, elles poursuivent leur petit bonhomme de chemin, éternels et humbles challengers en embuscade. Sans entrave pour innover en contrebande (on ne dira jamais assez à cet égard le rôle décisif joué par la chaîne démocrate HBO).  D'autre part, Dragnet, la première série télévisée, a été diffusée le 3 janvier 1952 aux Etats-Unis d'Amérique. Pour mémoire. L'aventure continue...

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Publié dans pickachu

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