Un cinéma insoumis (politique et cinéma français)

Publié le par O.facquet

 

Un autre monde - film 2021 - AlloCiné

Le cinéma et la politique (la vie de la cité, la vie dans la cité) frayent ensemble depuis toujours, certains vont même jusqu'à dire que tout film est politique, d'une manière ou d'une autre. Le débat reste ouvert. Le cinéma parle de politique, en fait à l'occasion, la politique le tient à l'oeil, voire s'en sert si besoin est, Mussolini et Lénine furent intarissables à ce sujet. Le septième art français n'a jamais à cet égard rechigné à la tâche. Les films militants existent, les plus intéressants restent toutefois les films engagés. Les premiers servent aveuglément une cause, souvent vainement, les seconds questionnent notre place au sein du milieu dans lequel il nous est donné d'évoluer, ce qui, convenons-en, est foutrement plus passionnant. Surtout, ils ne se penchent jamais sur leur sujet, se contentant humblement de se mettre à leur hauteur.

A l'approche d'élections générales, notre cinéma interroge la place du quatrième pouvoir dans les démocraties post-modernes, ausculte l'agressivité persistante du néo-libéralisme dans sa quête sans fin de gains de productivité, de bénéfices couramment introuvables, ou évalue les marges de manœuvre étroites de nos élu(e)s locaux, au cœur des quartiers dits sensibles.

Un autre monde » : Vincent Lindon toujours en guerre | Les Echos

Un Autre monde

Enquête sur un scandale d'État, de Thierry de Peretti, avec Roschdy Zem, Pio Marmaï et Vincent Lindon, un clin d'oeil à Alan J. Pakula (Les Hommes du Président en 1976), Un Autre monde, de Stéphane Brizé, avec Sandrine Kiberlain et Vincent Lindon, lorgne vers Ken Loach (Sorry We missed you en 2019), et Les Promesses de Thomas Kruithof, avec Isabelle Huppert et Reda Kateb, lequel entre en résonance avec les fictions sérielles sondant le pouvoir, ces trois films font le job, et le font bien. Il s'agit moins de soulever une force collective capable de transformer le monde, que de suivre la résistance parfois isolée de quelques récalcitrants, des grains de sable qui freinent la marche inéluctable souvent inique du monde du profit comme il va (ou pas). Sans occulter les contradictions qui les meuvent. Ils subissent crânement de grands moments de solitude, navigant à vue, sous le regard honteux de la multitude craintive -asinus asinum fricat-, dans l'incertitude ontologique qui est le lot commun de l'humaine condition. Tout sauf des personnages prévisibles d'un seul bloc au service d'une idée fixe. Ils avancent dans le brouillard, comme tout un chacun : encore le meilleur moyen de trouver son chemin. En tout cas de ne pas définitivement le perdre. Dansent les ombres du monde (Téléphone).

https://www.francetvinfo.fr/pictures/loC451E5iwtuRRwYhGA1yFd-xK8/fit-in/720x/2022/02/14/php6kLBmU.jpg

Un Autre monde

Voyez Un Autre monde : un cadre d'entreprise grassement rémunéré (Philippe Lemesle, Vincent Lindon, au sommet), confronté à des injonctions contradictoires -elles rendent fous- de sa direction parisienne (Marie Drucker, idoine), elle-même aux ordres de l'ogre américain, progressivement rompt avec la logique ultralibérale du faire toujours plus (d'argent) avec toujours moins (de salariés). Il se sauve, et son couple avec – Anne, jouée par Sandrine Kiberlain, que dire ? L'herbe est parfois plus verte ailleurs.

Il faut dire que l'entreprise dévore ses serviteurs. Lucas (l'excellent Anthony Bajon), le fils de Philippe, est victime d'une phase maniaque. Il est hospitalisé dans un centre psychiatrique. Anne et Philippe lui rendent visite. Lucas, en pleine crise, s'échine à vouloir calculer le temps parcouru par ses parents pour rejoindre la clinique. Il se perd dans des calculs incohérents, lesquels n'ont que l'apparence de la rationalité, mais une réalité : une forme de démence. Il faut tenter de comprendre le regard éperdu de Philippe qui ne dit mot. Lui vient-il à l'esprit que les élucubrations financières de ses chefs, sous des dehors rigoureux, ne sont que des stratégies folles au profit de quelques privilégiés cyniques, dans une époque sans âme ? Des logiques comptables qui feraient écho aux opérations frénétiques de sa progéniture ? Peut-être.

Un autre monde » : quand la machine capitaliste broie ses propres cadres

Un autre monde

Philippe assiste sans mot dire (maudire) à une séance thérapeutique à laquelle participe Lucas. Il s'agit de tirer les ficelles d'un pantin avec précision et régularité. Et si la marionnette, c'était lui, le cadre consciencieux, prince des plans sociaux ? La ficelle est un peu grosse, mais elle fonctionne. Talent du cinéaste. Dire non demande du caractère. Philippe n'en manque pas, tout comme Stéphane Milner (Pio Marmaï, excellent), le journaliste entêté du film de Thierry Peretti (Enquête sur un scandale d'État), accoucheur des révélations d'un ex-infiltré, Hubert, joué par Roschdy Zem, le meilleur acteur de sa génération, ou l'édile ambitieuse du film Les Promesses (Isabelle Huppert), flanqué d'un directeur de cabinet (Reda Kateb), qui sur le fil se souvient d'où il vient, ce qui ne fait jamais de mal.

EXCLU - Découvrez la bande-annonce de "Les promesses" avec Isabelle Huppert  et Reda Kateb

Les Promesses

Ces films ne changeront sans doute pas le monde, ils le contrarieront dans sa folie, ce qui déjà n'est pas rien, et serviront de boussole au quotidien pour quelques-uns d'entre nous. Ils ont fait en outre le choix de laisser dans l'ombre l'obsession identitaire (wokisme et zemmourisme), au profit de la question sociale (rapports de classes), un peu d’air, donc.

http://www.premiere.fr/sites/default/files/styles/partage_rs/public/2021-12/aafa.jpg

Enquête sur un scandale d'Etat

Il faudrait enfin dire deux trois mois sur le Ouistreham d'Emmanuel Carrère, sorti à la fin de l'année passée. Une plongée dans le monde du travail intérimaire et précaire, plus précisément dans le monde des femmes de ménage, entre autres à bord des ferries faisant la liaison entre Ouistreham et Portsmouth. Christèle, Marilou, Michèle, Nadège, et Michèle font de la résistance, pendant que la gauche, sourde aux souffrances du commun, s'abîme dans une démagogie narcissique. Et cela, il faudra un jour le filmer.

of

Ouistreham - film 2020 - AlloCiné

Publié dans pickachu

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :