Delirium très mince : Rambo de Ted Kotcheff (1982), encore et toujours.

Publié le par O.facquet

 

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Explorer une nouvelle fois Rambo (First blood), sorti sur les écrans français en mars 1983, réalisé par le cinéaste canadien d'origine bulgare William Theodore « Ted » Kotcheff, né Velicho Todorov Tsochev à Toronto le 7 avril 1931.

John Rambo (Sylvester Stallone, au jeu injustement décrié) est un vétéran de la guerre du Vietnam, un ancien béret vert, errant de ville en ville à la recherche de ses frères d'arme. Il s'apprête à traverser une petite ville du nord-ouest des Etats-Unis pour y prendre une petite collation, quand le shérif Will Teasle le met aux arrêts abusivement pour vagabondage. Il ne fait pas mention de son statut de vétéran du conflit vietnamien, pourtant il n'y a aucune ambiguïté et pour le shérif et pour le public américain. Sa vieille veste de l'armée ornée du drapeau national parle pour lui. Emprisonné sans ménagement, puis maltraité par des policiers surchauffés, John Rambo sort de ses gonds, s'enfuit pour aller se réfugier dans les bois environnants (où de jeunes Américains bien tranquilles vont apprendre à leurs dépens ce que fut la jungle vietnamienne), après avoir blessé quelques policiers récalcitrants. Traqué comme une bête, Rambo, en légitime défense, tue un policier. Partant, la police locale et la garde nationale déploient des moyens disproportionnés pour mettre la main sur le fugitif. Le colonel Samuel Trautman, ancien mentor du soldat, appelé à la rescousse, tente de rapprocher en vain les deux camps, pendant que Rambo, acculé, entre en guerre contre contre les autorités locales, avant de mettre la ville à feu et à sang.

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Nous avons déjà tenté de montrer en quoi Rambo est un film somme sur l'histoire des Etats-Unis, plus précisément sur ses pulsions guerrières. Sont convoqués bien entendu les conséquences du conflit vietnamien (la solitude des soldats à leur retour, le mépris qui frappe les vétérans -revoir à ce sujet Hambuger Hill de John Irvin sorti en 1987), le conflit lui-même : les hélicoptères, les fameux hélicoptères, la Deuxième Guerre mondiale (hors de lui lorsque les policiers le maltraitent, John Rambo revit de façon traumatique sous forme de flashs des scènes de tortures endurées au Vietnam : l'officier en charge de la question est japonais ; en outre, affublé de son bandeau, l'ancien soldat rappelle les kamikazes nippons), le Far West et/ou le génocide des Amérindiens (toujours John Rambo et son bandeau, sans oublier son comportement, son accoutrement de fortune, lequel évoque aussi le trappeur mythique de l'Ouest sauvage), voire la guerre froide : affaiblis, les Américains en ce début des années 1980 ressentent le besoin de bander les muscles -maladroitement- face à aux forces du mal soviétiques (policiers et gardes nationaux quelque peu ridiculisés dans le film -des trouillards pathétiques aux bravades guerrières dérisoires).

 

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Si First Blood est aussi un western, le duel final opposant le shérif local à John Rambo est une figure imposée du genre. Le film est aussi un film d'horreur : à la toute fin le fugitif s'empare d'un camion militaire, il fait jour, il arrive en ville en pleine nuit noire. Incohérence scénaristique ? Non. First Blood campe des revenants. Le film est d'essence fantastique dans la mesure où ce qui se passe dans nombre de séquences est à la fois irrecevable et cependant effectif. Une irrésolution déstabilisante. Le colonel Samuel Trautman, du fond de l'image, indistinctement, fait son apparition au mitan du film, tel un spectre, à l'entrée d'un toile de tente où se sont installées les autorités policières de la ville. C'est une ombre inquiétante venue de nulle part qui s'exprime, aux propos prémonitoires -ça va barder. John est un revenant, du Vietnam, bien sûr, des enfers donc, comme l'illustre ce long détour par un souterrain et ses tunnels infestés de rat, le sous-sol d'une mine désaffectée (focus sur la crise économique qui frappe le pays dans les années 1970 et à l'orée des années 1980), le royaume des divinités telluriques (Hadès), d'où il sort revigoré avant de continuer à transposer sur le sol américain la salle guerre que l'Amérique n'a pas toujours bien vu (à la télévision) et qu'elle s'efforce d'oublier (stigmatisation des anciens combattants). Dans les deux cas (la réapparition de Rambo et Trautman), faut-il parler de forclusion ? C'est-à-dire du retour hallucinatoire dans le réel de ce qui ne s'est jamais inscrit symboliquement ? Sans doute, tant le refoulé et son retour dévastateur travaillent le film de part en part. Ce qui n'est pas pour déplaire au Colonel Trautman, lequel esquisse un sourire discret mais significatif quand il s'aperçoit que son poulain a échappé un temps à ses poursuivants. Jouissif. Puisque nous versons dans le psychologique, un mot encore : une fois son remue-ménage terminé, Rambo est rejoint par son mentor dans un commissariat sens dessus dessous. Jusque-là presque hors langage, John Rambo se lâche, craque, s'écroule, fond en larmes comme un enfant, fustige ceux qui l'ont envoyé se battre en Asie, les lâches qui désormais l'abandonnent ou le condamnent. Les psychanalystes parleront d'abréaction, en d'autres termes d'une brusque libération émotionnelle liée à une soudaine extériorisation du refoulement. Puis John Rambo se rend, flanqué du fidèle colonel Trautman. Une page se tourne de l'histoire des Etats-Unis. L'Amérique n'en a pas fini pour autant avec ses cauchemars et autres fantômes.  

 

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Dans un des flash susmentionnés, John Rambo, prisonnier au Vietnam, est crucifié par les soldats du vietminh pendant qu'ils le torturent. Le vétéran est un martyr : il souffre bien des tourments (stigmates christiques) pour témoigner aux yeux d'un monde aveugle et sourd de ce que fut son calvaire et celui de ses compagnons d'arme. Rambo ne dit rien d'autre. First Blood n'appartient pas au cinéma américain de sécurité nationale, il ne sert pas la soupe au Pentagone, ce que fit de manière exemplaire Les Bérets Verts de John Wayne et Ray Kellog, en 1968, et comme ce sera le cas pour les deux volets suivants de la saga que Ted Kotcheff ne tournera pas, en plein reaganisme triomphant -la rambomania. Le film ne cherche pas à justifier l'implication des Etats-Unis dans le conflit (pas de discours politique), il s'efforce sans trémolos patriotiques révisionnistes de réhabiliter les soldats américains, de mettre en exergue leurs souffrances passées et présentes. Ted Kotcheff n'appuie pas le retour des valeurs patriotiques et conservatrices promues par l'administration Reagan, lesquelles redonnent à l'Amérique guerrière une image victorieuse (les choses se compliquent avec son film suivant Uncommon Valor, 1983)  Aucune similarité avec le projet des Bérets Verts de John Wayne, donc. A cet égard, First Blood conduit-il à une guérison représentationnelle (au sens d'une Amérique enfin réconciliée avec elle-même) ? Rien n'est moins sûr. Dans la scène finale initialement prévue, puis in extremis retirée, Rambo se suicide. Une hésitation qui en dit long. En 2000, dans Tingerland, de Joël Schumacher, le pays continue de s'auto-dévorer par le truchement de jeunes soldats qui poursuivent en s'affrontant leur instruction en 1971 à Fort Polk, en Louisiane, avant de partir combattre au Vietnam. On ne se remet pas comme ça d'une première défaite militaire au pays des winners

En outre, nous sommes une heure durant face à un écran testiculaire, la présence des femmes dans Rambo étant réduite à sa portion congrue (une serveuse et une secrétaire). Misogynie du cinéaste ? Non, non, il les dispense simplement d'un possible ridicule, laissant ainsi à certains hommes le soin de se déshonorer. 

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Publié dans pickachu

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